Réutilisation de la pierre

Extrait de « Pierres qui roulent » - hiver 2016
Publication de l’association des artisans Laviers et Muraillers de Bourgogne

LES MULTIPLES VIES D'UNE PIERRE D'OUVRAGE

Les archéologues et historiens du bâti se sont toujours interrogés sur la pratique du remploi dans la construction.

Ce phénomène a souvent été envisagé comme un particularisme de l’Antiquité tardive tant les blocs sculptés antiques sont nombreux dans les fortifications qui ont été dressées autour des villes d’occident dès la fin du IIIe siècle.

Celles d’Autun, Mâcon, Chalon-sur-Saône, Dijon, Sens, ou encore Auxerre, ne dérogent pas à la règle.

Certains ont vu là une forte fonction symbolique se référant à un passé prestigieux, mais le développement récent de l’archéologie du bâti offre de nouveaux angles de réflexion et montre que le remploi est un phénomène d’ampleur qui concerne toutes les époques.


Photo :
Crédit du Centre d’Etudes Médiévales Saint-Germain/Auxerre.
Elément de bas-relief (XIe s.) en remploi dans la tour Saint-Jean (XIIe s.) de l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre (89).

Les remplois les plus évidents sont dénoncés par la présence d’éléments anachroniques par rapport à l’édification même de la maçonnerie qui les intègre.

C’est le cas à l’abbaye Saint-Germain et à la cathédrale d’Auxerre, où quelques rares éléments sculptés remployés témoignent de la permanence de cette pratique.

Les fragments de sarcophages mérovingiens que l’on retrouve dans les maçonneries de nombreuses églises romanes de Bourgogne en sont un autre exemple.

Comme pour l’Antiquité tardive, ces remplois évidents peuvent en effet évoquer une certaine volonté de mémoire.

Pour autant, il est fréquent d’observer des pierres sculptées remployées dissimulées au regard, certaines parfois retaillées partiellement.

Et finalement se pose la question des blocs de pierre, appareil ou sculpture, qui ont pu être totalement retravaillés.

La pierre d’appareil prise sur des édifices anciens a été très certainement d’un usage pratique pour réaliser de nouvelles constructions, d’autant plus lorsque des ruines ou des bâtiments désaffectés étaient disponibles à proximité.

Ce fut le cas pour les quelques édifices de l’Antiquité tardive et du très haut Moyen Âge construits en contexte urbain, espace progressivement désolé et réintégré durant cette période.

L’essentiel des cités bourguignonnes sont dans ce cas. Mais les monuments antiques, totalement ou partiellement ruinés, ont été une ressource en pierre à bâtir durant tout le long Moyen Âge.

C’est vrai en contexte urbain comme rural, où nombre d’édifices présentent dans leurs maçonneries des pierres, accompagnées parfois des fragments de tegulae1, probablement prélevées sur des édifices gallo-romains proches.

Remployé ou non, le moellon2 reste d’usage le plus courant dans les maçonneries jusqu’à l’époque carolingienne.

Entre le IXe et le XIe siècle, le moyen appareil, fréquent durant l’Antiquité, est réintégré progressivement pour constituer encadrements d’ouvertures, piliers, chaînes d’angles et fondations.

L’abbaye Saint-Germain d’Auxerre en est l’un des exemples les plus remarquables.

Là encore, des remplois de blocs antiques peuvent être évoqués, mais difficiles à identifier en l’absence de traces d’outils ou de modénatures évocatrices.

Même si ce phénomène n’a pas été clairement observé en Bourgogne, il faut enfin évoquer le recyclage des pierres pour fabriquer la chaux nécessaire au mortier.

Comme c’est souvent le cas pour les grands édifices religieux perpétuellement en chantier, les investigations archéologiques montrent fréquemment la superposition stratigraphique de vestiges de différentes époques.

La concomitance de la construction du nouvel édifice et de la déconstruction des structures les plus anciennes apparaît souvent évidente.

La réutilisation est sans doute une manière pragmatique de gérer le chantier.

Sans pour autant évacuer l’interprétation symbolique du remploi dans la construction qui n’est établie que sur le visible, il faut admettre que la réutilisation « discrète » représente vraisemblablement une part nettement plus importante du phénomène.

La proximité de bâtiments détruits ou désaffectés, faisant office de carrières, est à l’évidence une condition nécessaire.

Il s’agit là d’économiser les coûts d’extraction et de transport, qu’il s’agisse d’apport de nouvelles pierres ou d’évacuation de matériaux issus des destructions.

L’usage de pierres déjà sur place présente donc de nombreux avantages tant du point de vue technique qu’économique, d’autant quand le contexte de la construction est complexe, comme ce peut être le cas en milieu urbain (Dijon, Auxerre, etc.) ou au sommet d’une colline comme à Vézelay.

Dans ce cas il est préférable de parler de recyclage.

1tuiles plates fabriquées durant l’époque Gallo-romaine

2pierre à bâtir

Stéphane Büttner
Docteur en Environnement et Archéologie
Centre d’Etudes Médiévales Saint-Germain/Auxerre
associé UMR ARTeHIS UB/CNRS

Photo : Crédit du Centre d’Etudes Médiévales Saint-Germain/Auxerre.
Elément de bas-relief (XIe s.) en remploi dans la tour Saint-Jean (XIIe s.) de l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre (89).

 

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